Jules César, premier influenceur “build in public”
Jules César, précurseur du personal branding ? Plongée dans un récit de domination construit comme un thread. Et si écrire en public, c’était moins pour dire la vérité que pour décider de ce qui restera ?
Lucie Michaut
10/19/20254 min read


Jules César faisait déjà du build in public.
Et son produit, c’était lui.
Il écrivait sa propre légende en temps réel. On le connaît pour son génie militaire, et il est vrai qu’il sut conquérir plus de territoires que bien des empires n’en ont rêvé.
Mais s’il est resté dans nos mémoires, c’est peut-être moins pour ses batailles que pour la manière dont il les a racontées. Dans La Guerre des Gaules, il parle de lui à la troisième personne :
« César vint. César vit. César vainquit. »
Une formule sèche, presque chirurgicale. Une manière élégante de gommer les aspérités, et de détourner le regard. De signer lui-même l’Histoire sans jamais sembler y toucher.
Et comme tout récit de domination, celui de César repose autant sur ce qu’il montre que sur ce qu’il choisit de taire : les villes rasées, les peuples réduits au silence, les sénateurs effacés du cadre.
On s’imagine volontiers que le personal branding est une invention contemporaine, née quelque part entre un post LinkedIn et un TEDx.
Erreur. Il est né bien plus tôt.
Il est né avec l’ambition et la peur de l'oubli. César l’avait compris : celui qui écrit le récit écrit la vérité. Ou plutôt : sa vérité. Et le récit précède toujours la réalité.
En s’écrivant comme personnage, il se fabrique comme mythe. Il ne dit pas ce qui est. Il décide de ce qui restera. L’audace, chez lui, n’est pas seulement d’avoir conquis. C’est d’avoir raconté pendant qu’il le faisait. Pas après la victoire, mais pendant. De son vivant.
Comme s’il diffusait en direct depuis le front. Il faut dire qu’à cette époque, l’écho prenait son temps. L’information ne filait pas à la vitesse du scroll. Elle serpentait, lente et capricieuse, à travers les provinces et les rumeurs.
Alors il fallait frapper juste. Produire un récit robuste, transmissible, taillé pour durer et survivre.
On croit avoir inventé la transparence. Le build in public. L’authenticité. Tous ces néologismes ronds, bien polis, destinés à travestir un désir ancestral : être cru avant même d’avoir été.
César l’a fait, et mieux que nous tous. Pas de récap mensuel sur Notion mais un récit héroïque gravé dans les esprits. Pas de SaaS mais une armée. Pas de growth hacking mais un storytelling en lettres capitales.
Et surtout : le monopole de la narration. César ne cherchait pas seulement à faire admirer ses victoires. Il voulait qu’on le voie comme une évidence politique. L’incarnation de Rome à venir. À cette époque, il n’était pas encore aux commandes qu’il était déjà devenu inévitable.
Certes, construire en public ne garantit pas la vérité.
Mais cela influence ce qui sera retenu. Et souvent, ce qui est retenu devient, à terme, plus solide que ce qui a été. On croit connaître l'Histoire mais combien de choses fausses, déformées, inventées ?
Les récits qui tuent ne sont pas ceux qui frappent.
Ce sont ceux qui savent taire.
Construire en public avant l'heure
César n’attend pas la postérité. Il la fabrique en live.
Dans La Guerre des Gaules, il n’écrit pas un rapport de campagne. Il compose une légende. Une œuvre de perception. Il ne se contente pas de gagner : il s’écrit gagnant.
Parler de soi à la troisième personne n’est pas une coquetterie. C’est une technique. Elle donne au récit un vernis d’objectivité, efface les émotions, renforce l’aura. Elle transforme un homme en figure. Et une figure en fait.
Et toi, comment te racontes-tu ? Es-tu encore dans le vécu ou déjà dans la version ?
L’art de choisir ce qu’on tait
Les silences de César parlent plus fort que ses mots.
Pas de détails sanglants. Pas de doutes. Pas de remords.
Ce n’est pas qu’ils n’existent pas. C’est qu’ils n’entrent pas dans le cadre. Et le cadre, c’est lui qui le dessine.
On croit que construire en public, c’est tout montrer. Transparence, vulnérabilité, authenticité… mais ces mots sont aussi des stratégies. Des mises en scène choisies.
Ce que tu ne montres pas… fait-il partie du récit ou en menace-t-il l’équilibre ?
Et si la vraie question n’était pas "que dire ?", mais "que taire volontairement ?"
Storytelling : précéder la réalité
Le récit n’est pas le reflet du réel. C’est son architecte.
César ne décrit pas ce qui s’est passé. Il impose une interprétation.
Et cette version devient l’Histoire.
Ce mécanisme est le cœur battant du personal branding. Tu ne documentes pas seulement un parcours. Tu fabriques une perception anticipée.
Tu n’attends pas d’être reconnu pour être crédible. Tu rends ta crédibilité impossible à ignorer.
Te racontes-tu pour expliquer… ou pour précéder ?
Que deviendrait ton récit si tu osais parler depuis ce que tu vises, et non depuis ce que tu vis ?
Journal prompt : Écris ton “César vint”
Réécris une version courte de ton parcours ou de ton offre, à la manière de César.
Format : 3 phrases à la 3e personne, sèches, mythifiantes.
Exemple :
“Il lança. Il apprit. Il s’imposa.”
Puis, demande-toi :
Qu’as-tu supprimé dans cette version ?
Quelle perception émerge de ce récit ?
Et surtout : est-elle cohérente avec ce que tu vises ?
Celui qui écrit ne gagne pas. Il reste.
César n’a pas simplement gagné des guerres. Il les a fixées dans la pierre.
Ceux qui dominent ne sont pas toujours les plus puissants.
Ce sont ceux dont le récit survit à l’érosion.
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