Génie : l'époque du bullshit

GÉNIE.
Ce mot qu’on dégaine à tout va.

Kanye West (YE) a dit qu’il était un génie.
Il l’a dit souvent. Et à force, beaucoup l’ont cru.

Un génie, donc. Mais alors, tout s'explique ? Ou tout s’excuse ?
Ses provocations, ses outrances, ses dérapages.

Certains aiment dire qu'il est ingérable, certes, mais il crée.
Il va trop loin, mais regarde ce qu’il fait.

Le syndrome est connu. On l’appelle le halo effect. Une qualité, ou un talent vient contaminer ton jugement sur tout le reste. Parce qu'il est beau, il est innocent, intelligent, ou fréquentable. Alors que pas du tout.

Le génie devient donc un champ de force. Il éblouit, protège et immunise.

Polanski ? Condamné pour viol, mais protégé par la phrase la plus lâche du cinéma français : « Ouais mais bon Chinatown reste un chef-d'œuvre. » Vraiment ?

Dans l’Antiquité, personne n’était qualifié de “génie”. On parlait d’un daimon, d’un souffle. Le génie n’habitait pas l’homme : il passait par lui. Nuance.

Aujourd’hui, comme personne ne veut rendre à César ce qui appartient à César, on s'auto-proclame : je suis un génie. Un GOAT. Et tout le monde s’écarte.

Helen Lewis l’a écrit : « Le génie, c’est la meilleure stratégie marketing pour être vénéré, quoi qu’on fasse. »

C’est vrai. Mais peut-être que le génie n’est pas celui qui crée l’exception. C’est celui pour qui on suspend les règles.

Alors génie du 21ème siècle : fausse lumière ou brouillard ?

L'effet halo : quand une qualité maquille toutes les failles

On appelle ça l’effet de halo :
Il est talentueux, donc il est forcément bon.
Il est créatif, donc il ne peut pas être toxique.
Il est brillant, donc il a ses raisons.

C’est une illusion cognitive.
Et une stratégie de protection.
Parce que si on commence à questionner une idole, on doit remettre en cause tout le piédestal.

As-tu déjà été aveuglé par le halo ? À qui as-tu tout pardonné sans oser gratter ?

Le génie, ce masque qui protège les pires comportements

Ce que l’on appelle aujourd’hui “génie” sert souvent à laver plus blanc que blanc.
Un passe-droit narratif. Un bouclier émotionnel.
Plus tu produis, plus tu peux déraper. Et certains finissent par construire leur mythe sur la transgression elle-même.

Mais qui décide de la limite ?
Qui désigne ce qui mérite le pardon, ou la révérence ?

Et surtout, qui se tait pendant ce temps ?

Combien d'actes a-t-on justifiés au nom du génie ?
Et qui n’a jamais eu ce privilège ?

Et si on revenait à l’idée antique : le génie qui traverse, pas qui possède

Les Anciens avaient une idée plus sobre, plus juste :
Le génie ne t’appartient pas. Il te traverse. Il est passager. Tu es son canal, pas son roi.

Cette vision empêchait justement la dérive de l’égo divinisé.
Elle rappelait la fragilité du talent.
Et la nécessité de l’humilité.

Aujourd’hui, on fait l’inverse : on s’auto-couronne.
Et les réseaux en rajoutent. Le like sacralise. Le thread mythifie.
On ne laisse plus le temps de juger une œuvre. On market la personne.

Et si le génie n’était pas une identité, mais une responsabilité temporaire ?
Qui serais-tu si ton talent ne t’appartenait pas ?

✍️ Exercice : Désarmer le halo

Prends une figure que tu admires (artiste, CEO, auteur...)
Et écris :

1. Ce que tu admires objectivement dans son travail

2. Ce que tu excuses peut-être un peu trop

3. Ce que tu ne dirais jamais d’un autre à son sujet

Pose-toi ensuite :
→ Est-ce que je confonds admiration et immunité ?
→ Est-ce que je suis en train de me raconter une belle histoire… pour ne pas en affronter une autre ?

Un génie qui écrase est juste un tyran avec des followers

Créer ne donne pas tous les droits.
Et le vrai génie n’est peut-être pas celui qu’on acclame.
C’est celui qu’on n’a pas besoin d’excuser.