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Edutainment : quand la lumière devient leurre

TikToks, Reels, carrousels : et si l’ère de la lumière instantanée nous éloignait du vrai savoir ? Un regard tranchant sur la face cachée de l’edutainment.

Lucie Michaut

10/19/20254 min read

Pas besoin de connaître comment fonctionne l’électricité pour accéder à la lumière.

Mais alors que la lumière soit, et la lumière fut. D’un côté, le vrai savoir. De l’autre, le raccourci qu’on en fait pour s’éclairer. Voici l’âge d’or de la vulgarisation. Ou peut-être l’âge plastique de la connaissance. Je ne sais pas.

Mais ce que j’observe, c’est que tout savoir doit tenir en 15 secondes. Avec un bon filtre, un son qui claque, et des sous-titres en jaune fluo.

La Gen Z veut du visuel. Qui dit visuel, dit simplification. Qui dit simplification, dit vulgarisation à mort. Pour donner vie à des TikToks, des Reels, des Shorts. Des contenus "effet bonbon" : donner envie, fondre vite sous la langue, et laisser un goût de vide. Et en redemander. Mais ça ne nourrit pas vraiment.

Bienvenue dans l’ère de l’edutainment. Apprendre en se divertissant. Le concept est sain et sympatoche. Mais on se divertit bien plus qu’on n’apprend.

Heureusement, certains illuminent sans appauvrir. Dr Nozman, DirtyBiology, Passé Sauvage... Ils incarnent le noble archétype du passeur : celui qui fait descendre le savoir de sa tour sans vraiment le trahir. Mais tu ne deviendras pas médecin en regardant les vidéos de Jimmy Mohammed.

L’edutainment n’est qu’un point de départ. S’il ne donne pas envie d’ouvrir un livre, de poser une question, d’aller au-delà de l’écran, alors il trahit sa promesse.

Vulgariser, oui. Mais pour mieux approfondir, pas pour mieux zapper. À trop vouloir allumer des ampoules, on finit par couper les fils. Le raccourci devient vite court-circuit. Ce n’est plus du savoir. C’est un simulacre. Propice à la désinformation et aux fake news.

Ouais, ouais. On les connaît, ces vidéos qui t’expliquent comment "déjouer les pièges des émotions", ces carrousels qui te résument Marx en 4 slides, ces experts qui confondent synthèse et slogan. On peut tout te dire puisque tu ne vérifieras pas. Il est là le problème.

La vulgarisation reste proche de la paresse intellectuelle. Performative. Algorithmique. Elle ne rend pas plus intelligent. Elle rend accro.

Pas au contenu, non. Aux leviers de désirabilité qu’elle active : clarté immédiate, sensation de maîtrise, gratification sans effort. Des shots de savoir qui retombent aussitôt. La grande illusion.

Apprendre, à preuve du contraire, demande du temps. Des années. De la recherche. Du discernement. De l'entraînement. De l'observation...

Mais la légende raconte que c'est parce que la vitesse de la lumière est supérieure à celle du son que tant de gens paraissent brillants avant d’avoir l’air c*ns.

On a préféré la lumière à la lampe.
Et tu auras beau frotter, le génie ne sortira pas.
Il est ailleurs.

Le savoir en 15 secondes : éclair ou mirage ?

Aujourd’hui, on ne demande plus au savoir d’être rigoureux.
On lui demande d’être court, séduisant et portable.
Le filtre prime sur le fond. L’effet “wow” sur la méthode.

Un bon son, un bon cut, des sous-titres colorés, et hop : on apprend.
Enfin… on croit.

Mais comprenez bien : ce n’est pas une révolution cognitive.
C’est un design d’attention.
Et ça s’appelle de l’edutainment.

Êtes-vous en train d’apprendre… ou juste d’être distrait par du savoir emballé ?

Edutainment : promesse noble, usage bancal

Apprendre en s’amusant, pourquoi pas ?
Mais quand le divertissement écrase l’apprentissage, il ne reste qu’un simulacre.
Une illusion de connaissance.
Un geste mimétique qui ne produit ni mémoire, ni discernement.

Certains résistent. Des vulgarisateurs intègres, exigeants, curieux.
Mais ils ne peuvent compenser la masse de contenus digestes, creux, vite consommés, vite oubliés.

Quand vous partagez un “savoir rapide”, est-ce que vous ouvrez une porte… ou vous la refermez aussitôt ?

Le risque : un monde de pseudo-sachants

Parce que les contenus sont courts, ils doivent être simples.
Parce qu’ils sont simples, ils deviennent souvent faux ou biaisés.
Et quand on les consomme sans recul, ils s’imposent comme vérités.

Résultat : on croit comprendre.
On croit maîtriser.
On pense “avoir lu Marx”, “comprendre la dopamine”, “maîtriser les biais cognitifs”.
Mais en réalité, on surfe.
Et on s’illusionne de profondeur.

À quand remonte votre dernier vrai désaccord avec une idée ?
Pas un commentaire. Un vrai débat intérieur. Une remise en question.

Exercice : le test de la lampe

Prenez un contenu de vulgarisation que vous avez aimé récemment.

Posez-vous ces 3 questions :

  1. Est-ce que j’ai envie d’en savoir plus maintenant ?

  2. Est-ce que j’irais lire une source primaire ?

  3. Est-ce que je pourrais expliquer ce que j’ai vu sans répéter la vidéo ?

Si vous répondez “non” à 2 de ces 3 questions,
alors vous avez vu la lumière.
Mais pas la lampe.

La lumière sans la lampe

On a voulu simplifier.
On a fini par épuiser.
À force de tout rendre accessible, on a rendu le savoir interchangeable.
Zappable.

La lumière, oui.
Mais sans compréhension du circuit.
Sans résistance.
Sans tension.
Et surtout, sans ancrage.

Alors non, le génie ne sortira pas.
Même si vous frottez l’écran.
Le vrai savoir demande qu’on allume la lampe.
Pas qu’on cherche l’éclat.