Dépeindre la réalité
Un officier. Un tableau. Une réplique glaciale. Et une question que tout créateur devrait se poser : montre-t-on le monde, ou détourne-t-on le regard ?
Lucie Michaut
10/19/20253 min read


Quand le récit retourne le regard
La légende raconte qu'un jour, pendant l’Occupation, un officier allemand entra dans l’atelier de Picasso. Il s’arrêta devant le tableau Guernica. Et demanda, presque innocemment :
« C’est vous qui avez fait ça ? »
Picasso répondit, sans hausser la voix :
« Non. C’est vous. »
Le silence qui suit est plus dense que l’échange lui-même. C’est une réponse brève. Froide. Et pourtant, elle contient un renversement : un twist. Pas au sens de la surprise scénaristique, mais dans son acception la plus nue : un retournement du regard. Un lancement de patate chaude. L'arroseur arrosé.
Celui qui croyait interroger se découvre interrogé.
Celui qui pensait observer devient objet de l’image.
Le twist est là : dans la soudaineté d’un basculement moral. L’œuvre cesse d’être décor et devient une preuve.
La réponse de Picasso est telle la lettre qu'on renvoie à son expéditeur. Ce moment dit tout de la tension entre le réel et la création.
On pense que l’artiste invente.
Souvent, il révèle.
On pense que le récit est un abri.
Parfois, il est un miroir que l’on préférerait ne pas croiser.
Et si la guerre n’avait pas eu lieu, Guernica n’existerait pas. Le tableau est né d’un événement que personne ne veut regarder en face mais que le peintre, lui, n’a pas fui. Pour en laisser une trace.
Alors quand on raconte, quand on crée, quand on « montre», il faut se souvenir de cette scène. Toi, quand tu racontes une histoire, es-tu le peintre, le soldat ou celui qui détourne les yeux du tableau ?
Car tout ce que nous concevons contient (toujours) une part de ce que nous avons choisi de ne pas taire. C'est ça avoir un message. Et c'est plutôt honorable.
Le twist comme retournement moral
Le mot « twist » est galvaudé. On le croit réservé aux scénarios de films, aux rebondissements malins, aux fins surprises.
Mais ici, le twist est éthique. Il ne dénoue pas l’intrigue, il retourne la position du spectateur. Le regard change de camp. L’image n’est plus un objet d’admiration, mais un témoignage accusateur.
La question n’est plus : « Qu’est-ce que je regarde ? », mais « Que dit ce que je regarde de moi ? »
Quand vous montrez quelque chose, quelle position offrez-vous au spectateur : confort… ou conscience ?
Créer, ce n’est pas fuir le réel
Il y a cette illusion que la création est une échappatoire. Une manière de s’abstraire du monde. Mais les grandes œuvres sont enracinées dans la réalité, parfois la plus brutale.
Guernica n’a pas été « imaginé ». Il a été arraché à l’Histoire. Picasso n’a pas peint la guerre, il a peint l’horreur. Celle que d’autres voulaient taire. Il a utilisé l’art comme outil de mémoire et de résistance.
Et ça change tout : l’œuvre n’est plus une décoration, mais une charge. Une pièce à conviction.
💬 Quand vous racontez une histoire, que choisissez-vous de ne pas taire ?
Ce que contient vraiment un récit
Un bon récit est souvent inconfortable. Parce qu’il pose une question implicite au lecteur. Parce qu’il contient un regard. Une position. Une forme de lucidité.
Chaque message, chaque création, chaque image contient une part de vérité que quelqu’un aurait préféré ne pas voir apparaître.
✍️ Et vous, quand vous créez, est-ce pour séduire, pour masquer… ou pour dire ce que d’autres taisent ?
Exercice : Qui parle à travers vous ?
Un petit cadre introspectif à appliquer à vos prochains récits :
Quelle réalité inspire ce que vous créez ?
Qui serait mal à l’aise de la voir mise en lumière ?
Que refusez-vous de taire, malgré la gêne ?
À écrire noir sur blanc avant de publier, pitcher ou produire.
Certains peignent des fleurs. D’autres peignent ce que les fleurs recouvrent.
Sagacité à l'état pur. Smartesse oblige.
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